True Detective Saison 4 : un récit puissant et émancipateur
Date de publication
7 mars 2024
Temps de lecture
3 minutes
Thématique
Culture & société
J’ai regardé la saison 4 de True Detective et je l’ai trouvée… roulement de tambours… excellente ! Elle est à la hauteur de la première qui, pour moi, figure parmi les meilleures séries policières. La qualité des images et de la bande-son créent une ambiance captivante. Par ailleurs, les thématiques abordées à travers l’enquête sont très actuelles. Et c’est ce que je préfère, quand le polar a quelque chose à dire de la société ! Voici trois raisons qui explique, selon moi, la réussite de « The Night Country ».
La critique sociale dans True Detective Saison 4
On débarque en Alaska, en plein cœur de la nuit polaire. Les huit scientifiques de la station de recherche arctique Tsalal ont disparu. Liz Danvers (Jodie Foster) est responsable de l’affaire. L’agent Evangeline Navarro (Kali Reis) tente de la convaincre de l’existence d’un lien entre cette disparition et le meurtre non résolu d’Annie datant de plusieurs années en arrière. La victime, une jeune native américaine, militait activement pour la fermeture d’une mine. L’exploitation est en effet soupçonnée de déverser des polluants dans l’eau la rendant impropre à la consommation.
La question de la pollution, en toile de fond de l’enquête, est d’autant plus intéressante qu’elle présente une double dimension à la fois écologique et sociale. Dans les quartiers populaires occupés par des familles natives américaines, il n’y a plus d’eau potable. Celle qui coule du robinet est marron. Autre fait marquant : le nombre d’enfants mort-nés augmente sensiblement depuis plusieurs années. Les membres de la communauté luttent pour obtenir la fermeture de la mine soupçonnée d’être à l’origine de ces incidents. Mais c’est l’impasse : l’exploitation fait vivre les ouvriers et ouvrières de la région qui se retrouveraient en grande précarité sans elle.
Ce contexte délétère est très inspiré du réel. Il y a lien entre pollution et inégalités sociales. Celles et ceux qui subissent sont souvent les plus précaires qui n’ont aucun poids contre une industrie toute puissante : les classes ouvrières et les minorités ethniques. De nombreuses mobilisations environnementales aux États-Unis ont ainsi été portées par des membres de classes populaires, et notamment par des femmes. En effet, elles sont souvent les premières à faire l’expérience sensible de la pollution par son impact sur le foyer — ce qui est illustré dans la série à travers la recrudescence du nombre d’enfants mort-nés. Mais ces mobilisations ont presque toujours été reléguées en périphérie de l’Histoire. La saison 4 de True Detective met en lumière l’activisme populaire !
En savoir plus…
Dans son Recueil de textes écoféministes, l’universitaire Émilie Hache présente un article passionnant sur le sujet : « Des bonnes femmes hystériques : mobilisations environnementales populaires féminines » de Celene Krauss. L’autrice s’intéresse aux différentes dimensions de cet activisme populaire (grassroots), et aux manières dont les femmes issues de la classe ouvrière, qu’elles soient blanches, Africaines-Américaines ou natives-Américaines, entrent en résistance pour défendre une forme de justice environnementale.
Une opposition intrigante entre spiritualité et rationalité
Il y a deux lectures de cette saison de True detective. Elles sont permises par la rencontre du rationnel et du spirituel. Certains évènements fantastiques accompagnent le déroulement de l’enquête : des voix, des visions, des sensations. Ils sont suggérés, sans explications surabondantes, ce qui permet d’en tirer l’interprétation que l’on souhaite. Chaque étape peut ainsi avoir une explication cartésienne.
Ce choix d’une double lecture n’est pas un hasard. Il illustre le clivage entre le monde blanc productiviste et rationaliste, et la communauté native-Américaine, dépossédée de ses terres et de ses droits, qui cherche à faire perdurer ses traditions. Le personnage de l’agent Navarro est la passerelle entre ces deux univers. Elle est tiraillée entre son appartenance au corps d’une police majoritairement blanche, et ses origines dans lesquelles elle puise sa spiritualité.
L’opposition entre le rationnel et le spirituel rappelle également les stéréotypes de genre : aux hommes la réflexion logique, et aux femmes l’intuition. Or, dans la saison 4 de True Detective, l’intuitif devient une force et permet d’avancer là où le rationnel botte en touche. C’est pourquoi le côté fantastique de la série fonctionne bien à mon sens. Il s’inscrit dans une certaine réalité sociale qui lui donne un sens.
* Arte a sorti un documentaire passionnant sur Jodie Foster.
Des personnages féminins complexes et fascinants
Il ne vous aura pas échappé que Night Country est portée par un tandem féminin, contrairement aux précédentes saisons de True Detective. Et croyez-moi, ça fait jaser sur la toile !
Danvers, le personnage de Jodie Foster*, est intellectuellement brillante mais facilement détestable. Elle est tyrannique avec son subalterne — j’ai envie de dire comme peut l’être un homme qui occupe un poste à responsabilité, sauf qu’une femme on l’envoie au placard en Alaska. Elle assume une sexualité très libre, que lui reprochent évidemment les femmes de ses multiples amants. Dans le même temps, des flashbacks montrent une facette d’elle tendre et maternante avec son enfant qu’elle a perdu.
* Voir l’interview de Jodie Foster et Kali Reis sur Allociné.
Son acolyte, l’agent Navarro, est tout aussi fascinante. Le rôle est interprété par Kali Reis, actrice et championne de boxe, descendante de la tribu Seaconke Wampanoag. Son corps imposant par sa taille et sa musculature lui donne une stature importante par rapport à tous les autres personnages. Elle n’est pas lesbienne pour autant — et non, on ne tombe pas dans le cliché de la camionneuse ! Sa relation avec le barman renverse les stéréotypes de l’amour hétérosexuel : c’est elle qui prend les risques, qui se bat et rentre blessée ; c’est lui qui l’attend, qui panse ses blessures et prend soin d’elle. Comme Danvers, elle a en elle une forme de violence qu’elle manifeste physiquement. Elle montre également une facette douce et protectrice auprès de sa sœur atteinte de troubles psychiques.
Ces multiples visages donnent de la profondeur aux deux protagonistes : elles sont crédibles et intéressantes. C’est pourquoi le duo fonctionne parfaitement bien. Issa Lopez, la réalisatrice, ne s’est pas contentée de mettre en scène des femmes*. Elle a construit des personnalités complexes et profondes, avec leur force, leur vulnérabilité et leurs convictions qui les rendent très différentes l’une de l’autre… à l’image du tandem formé par Matthew McConaughey et Woody Harrelson dans la première saison.
Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire tant les personnages sont riches et intéressants ! Mais j’ai déjà beaucoup écrit, et je pense vous avoir transmis les principales raisons pour lesquelles cette saison 4 de True Detective m’a tant plu. Issa Lopez propose une intrigue bien ficelée, et nous raconte, dans le même temps, quelque chose de sa vision du monde. Et vous, qu’en avez-vous pensé ?
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