Le procès de la Radium Dial Company
Date de publication
5 septembre 2022
Temps de lecture
5 minutes
Série
Radium Girls (4/5)
Thématique
Culture & société
À Ottawa, dans l’Illinois, l’affaire des « Radium Girls » de l’ « United States Radium Corporation » (USRC) raisonne d’une manière particulière. Depuis 1922, la « Radium Dial Company » y produit des cadrans luminescents de montre. Les ouvrières ingèrent chaque jour de petite quantité de peinture au radium en lissant le pinceau avec les lèvres. Ça vous rappelle quelque chose ? Parmi elles, Catherine Wolf Donohue et Charlotte Nevins Purcell s’emparent du combat de leurs congénères du New Jersey. Voici l’histoire du procès de la « Radium Dial Company ».
Petit rappel des précédents épisodes
L’affaire des « Radium Girls » a donné lieu à un procès très médiatisé contre l’USRC. Soutenues par un avocat engagé, les victimes ont obtenu une indemnisation par la voie de la conciliation. Néanmoins, leur état de santé n’a pas permis de poursuivre jusqu’au bout le combat pour que l’entreprise soit juridiquement reconnue coupable…
L’initiative du procès de la Radium Dial Company
En 1928, des tests montrent que trente-quatre ouvrières sur soixante-sept sont potentiellement ou positivement radioactives. Elles subissent une dégradation importante de leur état de santé. Pourtant, c’est seulement en 1934 qu’elles apprennent la cause de leur affection : l’empoisonnement au radium.
Catherine Wolf Donohue et Charlotte Nevins Purcell ont fait partie des premières employées de la « Radium Dial Company », au début des années 1920. Elles ont entendu parler du procès contre l’USRC, dans le New Jersey. Cette nouvelle leur donne de l’espoir et les pousse à agir. Accompagnées d’un avocat, Jay Cook, les deux anciennes ouvrières décident de saisir la commission de l’Industrie de l’Illinois pour obtenir, elles aussi, une indemnisation.
À première vue, l’affaire se présente plutôt bien. Dans l’Illinois, la loi sur les maladies industrielles est plus inclusive que ne l’était celle du New Jersey (voir l’épisode 3). Il s’agit de l’ « Occupational Diseases Act ». Elle couvre l’ensemble des pathologies dues à une activité industrielle.
À noter pour mieux comprendre
Aux Etats-Unis, la loi n’est pas la même partout. Les compétences sont réparties entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés. Chaque Etat fédéré a sa propre Constitution, vote des lois selon les domaines, et dispose de son organisation judiciaire. C’est pourquoi le système de compensation des maladies professionnelles peut être différent dans le New Jersey et dans l’Illinois. C’est toujours un peu surprenant pour nous puisqu’en France, l’Etat est unitaire. La loi est votée par le Parlement et s’impose de la même manière sur l’ensemble du territoire. Cette étude du Sénat explique clairement les grands principes.
L’ « Occupational Diseases Act » : un texte mal écrit
Les choses ne se déroulent pas aussi simplement que prévu. La « Radium Dial Company » se défend très bien. Elle conteste l’application de la loi. Son raisonnement est le suivant :
- D’une part, l’entreprise soutient que le texte ne s’appliquerait pas aux cas d’empoisonnement. Le radium étant un poison, la pathologie des « Radium Girls » ne serait pas couverte. On joue sur les mots, mais la stratégie fonctionne…
- D’autre part, elle soulève que l’ « Occupational Disease Act » serait trop imprécis. Il ne fournirait pas de standard de conduite clair. Il faudrait donc en écarter l’application.
Le 17 avril 1935, la Commission de l’Industrie donne raison à l’entreprise. Jay Cook forme alors un recours devant la Cour Suprême. Cette dernière invalide la loi, considérant qu’elle est effectivement mal écrite. C’est un échec retentissant : les « Radium Girls » perdent leur procès sur un aspect purement technique…
À noter pour mieux comprendre
Au cours d’un procès, la Cour suprême des États-Unis peut être saisie lorsqu’il y a un doute sur la constitutionnalité de la loi. Cela veut dire que l’on souhaite vérifier si elle est conforme aux principes inscrits dans la Constitution fédérale. Or, la clarté de la loi est un principe fondamental dans un Etat de droit. Si un texte est mal écrit et peu compréhensible, il peut être invalidé.
L’argumentation contradictoire de la « Radium Dial Company »
Après cette terrible décision, la loi invalidée est réécrite de manière à intégrer l’empoisonnement. Catherine Donohue et Charlotte Purcell font appel. Elles sont soutenues par un nouvel avocat : Leonard Grossman. Ce dernier s’engage pleinement dans leur défense, et met toutes les chances de leur côté. Il médiatise l’affaire pour toucher l’opinion publique. Il crée également, avec d’autres victimes du radium, la « Société des mortes-vivantes ». Cette association milite activement pour une meilleure protection juridique des ouvriers et ouvrières exposées aux substances radioactives.
Au cours du procès, la « Radium Dial Company » soutient que si le radium peut être considéré comme un élément abrasif, il ne peut pas être qualifié de poison. C’est exactement le contraire de ce qu’elle avait affirmé en première instance… Dans sa plaidoirie, Leonard Grossman souligne la contradiction de l’entreprise qui peut alors difficilement se défendre.
Elle tente ensuite de contester le fait que les employées aient reçu comme instruction de porter le pinceau à leurs lèvres. Selon les dirigeants, personne n’aurait garanti la non-toxicité de la peinture. L’avocat des « Radium Girls » produit alors un communiqué de presse signé par le président. Il avait été imprimé dans plusieurs éditions du journal local et affirmait explicitement que le produit n’était pas dangereux. Chaque nouvel argument se retourne donc contre la défense.
Finalement, celle-ci recour à la seule arme qui ait fonctionné jusque-là : jouer la montre. Elle interjette appel à chaque jugement défavorable. Catherine Donohue meurt avant la fin de la procédure, le 27 juillet 1939. Charlotte Purcell tient le coup, soutenue par son avocat et la « Société des mortes-vivantes ». Le 23 octobre 1939, après huit recours, le verdict tombe enfin. La « Radium Dial Company » est déclarée coupable pour mise en danger de ses employées.
Les « Radium Girls » ont obtenu gain de cause. La responsabilité de l’industrie horlogère dans l’empoisonnement des ouvrières est reconnue, ce qui ouvre la voie à des compensations financières. Le président de la « Radium Dial Company » est évincé en 1934. Cette décision ne met pourtant pas tout à fait un terme à l’histoire. Celui-ci ouvre rapidement une nouvelle entreprise : « Luminous Processes ». Vous l’avez deviné : elle fabrique également des cadrans de montres luminescents grâce au même procédé qu’auparavant… et ce jusqu’en 1978 ! Et oui, la technique de peinture « lip, dip, point » a été interdite, mais pas l’utilisation du radium ! Néanmoins, les deux procès que nous avons évoqués ont permis de nombreuses avancées scientifiques et juridiques. On fait le point dans le prochain et dernier épisode !
Les références
Ouvrages
- Kate Moore, The Radium Girls, 2016, Londres, éd. Simon&Schuster.
Podcast
Articles
Vous devriez également aimer…
Laissez-moi un commentaire !