La forêt dans le cinéma d’animation
Date de publication
27 mars 2023
Temps de lecture
5 minutes
Thématique
Culture & société
Hostile ou accueillante, magique, source de vie ou portail vers l’au-delà… les façons de représenter la forêt sont nombreuses. Elle symbolise la rencontre entre nature et société, mais aussi entre le soi et l’autre ; celui qui nous intrigue, celui qui nous effraie. Ces multiples significations sont autant d’occasions d’imaginer et d’animer des histoires. Je vous propose d’aller à leur rencontre, en suivant les sentiers de la forêt dans le cinéma d’animation. Suivez-moi, et ne vous perdez pas en chemin : qui sait quelles étranges créatures vous pourriez croiser…
La forêt dans le cinéma d’animation : un décor d’aventures
La forêt est d’abord un lieu : là où se déroule l’action, où les personnages vivent leurs péripéties. En tant que décor, elle peut être soit un territoire hostile, soit une terre d’accueil.
Un territoire hostile
Qui n’a pas été marqué, enfant, par la course folle de Blanche-Neige dans les bois ? Chassée par la reine qui jalouse sa beauté, elle s’enfonce dans l’obscurité. Autour d’elle, des yeux de toutes formes s’ouvrent et la fixent intensément. C’est probablement l’une des scènes les plus effrayantes des films d’animation Disney !
La forêt fait peur parce qu’elle est inconnue. Peuvent y prospérer toutes sortes de monstres fantasmatiques et autres esprits farceurs. On se confronte à l’altérité : cet autre si différent de nous, dont on ne peut qu’imaginer les funestes desseins. Ainsi, dans Brendan et le secret de Kells, le jeune héros n’a pas le droit de pénétrer dans le bois jouxtant l’abbaye dans laquelle il grandit.
Une haute muraille est petit à petit érigée pour protéger les moines du danger. Cette construction symbolise l’opposition forte entre nature et culture :
- À l’intérieur des murs : le règne des livres, de la connaissance et de l’art des enluminures.
- À l’extérieur : le monde sauvage, impénétrable, spontané et dangereux.
Cette métaphore raconte comment l’humanisme a transformé notre rapport au monde vivant, préparant un terrain fertile pour la révolution industrielle. Ainsi, l’idéologie du progrès s’est forgée en opposition à la nature ; le développement de l’humanité contre son environnement.
D’un lieu mythifié, la forêt se transforme parfois en territoire véritablement mortel. Ainsi, dans Nausicäa de la vallée du vent (Hayao Miyasaki), les arbres deviennent toxiques. Les spores qu’ils dégagent sont irrespirables pour un être humain normal : on ne peut s’aventurer dans les bois sans masque à gaz. L’extension de la forêt menace alors directement la survie des peuples de la vallée…
Une terre d’accueil
Ne vous y trompez pas : la forêt mystérieuse et effrayante s’avère bien souvent être une terre d’accueil et de réconfort. Lorsque Bambi perd sa mère, il est soigné par les autres animaux. La nature recueille, protège et permet au petit héros de s’épanouir en toute quiétude.
Dans Rox et Rouky, le renard abandonné dans une réserve de chasse est d’abord malmené par la faune locale. Puis, au terme d’une longue nuit de galère, il est accompagné dans son retour à la vie sauvage. La forêt est nourricière : elle lui offre ce qu’il faut pour acquérir son indépendance. Elle vient ainsi rappeler que le sauvage ne peut être totalement domestiqué : l’équilibre se trouve dans le respect de l’autonomie de l’autre.
La figure maternante de la forêt, à la fois protectrice et enseignante, on la retrouve aussi dans Pocahontas. Grand-mère feuillage, un saule-pleureur, écoute et réconforte la jeune héroïne. Elle la guide, sans intrusion, dans sa rencontre avec l’autre. La nature est alors le pont entre deux civilisations que la colonisation oppose.
La forêt comme personnage à part entière
La forêt n’est pas toujours cantonnée au décor de l’action. Elle peut prendre pleinement part à l’aventure : elle est alors subjectivée et traitée comme un véritable protagoniste. Souvent victime du désir d’expansion des êtres humains, elle est aussi, et paradoxalement, celle qui sauve…
Une forêt menacée
C’est évidemment l’un des thèmes-phares des films du studio Ghibli. Dans Pompoko (Isao Takahata), lorsque la forêt est peu à peu déboisée pour permettre à la ville de s’étendre, les tanukis s’érigent en gardiens. Maîtres dans l’art de la transformation, ils luttent activement par l’intimidation pour repousser les travaux mortifères. Ils jouent des tours, effraient et menacent en utilisant toutes les figures du folklore japonais : kamis, yōkais et autres divinités.
Les divinités de la tradition shintoïste
Les kamis : ce sont des divinités importantes dans la tradition shintoïste. Dans « Princesse Mononoké », elles sont incarnées par des animaux de très grande taille (loups, sangliers). Il en existe bien d’autres, tels que Raijin, le dieu de l’orage, et Fujin, le dieu du vent : tous deux font une apparition dans « Pompoko ».
Les Yōkais : démons, esprits farceurs. Il y en a de très nombreuses sortes. Dans « Pompoko », les tanukis organisent une procession dans la ville en prenant la forme de ces yōkais pour effrayer les humains. On retrouve Gashadokuro, le squelette géant, Kasabake, le parapluie borgne, ou encore Chochin oiwa, la lanterne hantée.
Les kodamas (sylvains) : ce sont des yōkais, des esprits de la forêt qui vivent dans un arbre. Ils peuvent avoir des formes variées. Dans « Princessse Mononoké », ils ont une allure anthropomorphe et enfantine. Ils sont rassurants parce qu’ils ne prennent pas part au conflit.
Dans Princesse Mononoké, la forêt souffrante envoie son armée de sangliers dans un dernier assaut contre les forges de Dame Eboshi. Celles-ci servent à la fabrication d’armes à feu, et nécessitent toujours plus de bois pour fonctionner.
Mais à la domination de la nature par les fusils répond celle des femmes par les hommes. En effet, si Dame Eboshi apparaît au premier abord comme un personnage cruel et sans pitié, elle cherche en réalité à protéger l’autonomie de son village. Elle y a accueilli celles et ceux que l’empire rejette : les lépreux et les prostituées. Elle espère qu’en livrant à l’empereur la tête du dieu-cerf, la démonstration de sa puissance éloignera les convoitises.
Comme toujours dans le cinéma d’Hayao Miyazaki, aucun camp n’est tout noir ni tout blanc. La forêt elle-même est source de complexité et d’ambivalence. C’est pourquoi Ashitaka, le héros, nous apprend à porter un regard sans jugement sur le monde. Lui et San, la princesse Mononoké, établissent un lien entre les peuples humains et non humains pour retrouver un équilibre.
De la même manière, dans Le peuple loup se tisse une amitié entre une petite fille et une wolfwalker (mi-humaine, mi-louve), comme un pont entre le monde sauvage et la société. On retrouve certains schémas évoqués dans Brendan et le secret de Kells du même réalisateur :
- la lutte contre le despotisme,
- la peur de la forêt,
- la déconnexion destructrice entre nature et culture.
En mettant la forêt au centre de la narration, ces films interrogent sur notre rapport à la nature. Personnifiée, elle vit, souffre et se défend. Notre position de domination en tant que « maîtres et possesseurs » devient alors insupportable.
Une forêt résiliente
La forêt résiste et lutte en même temps qu’elle protège et sauve. Dans Princesse Mononoké, c’est elle qui guérit Ashitaka d’une blessure pourtant mortelle. Il est guidé par une horde de sylvains (kodamas) jusqu’à une clairière, à la rencontre du Dieu-cerf (Sishi gami). Celui-là choisit de le sauver.
Pourtant, si le Dieu-cerf a le pouvoir de donner la vie, il peut aussi la reprendre. Il éteindra celle d’un dieu-sanglier rongé par la colère, et de Moro, déesse-louve qui a élevé San (la princesse Mononoké). Il symbolise l’équilibre entre les êtres, entre la vie et la mort, entre le monde naturel et le monde civilisé.
Rompre cette symbiose, c’est plonger le monde dans le chaos. Ainsi, lorsque la tête du Dieu-cerf est subtilisée, son corps laisse s’échapper une substance magique mortelle qui asphyxie tout sur son passage. C’est seulement après cette épreuve ultime que Dame Eboshi comprend l’importance de vivre en harmonie avec son environnement.
La forêt de princesse Mononoké
Pour réaliser le film Princesse Mononoké, l’équipe d’Hayao Miyazaki s’est inspirée d’une forêt primaire du Japon. Elle se situe au sud de l’archipel, sur l’île de Yakushima. Certains arbres qui la composent sont des cèdres japonais vieux de plus de 2 000 ans ! Depuis 1993, elle est classée parmi les biens du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Dans Nausicaä de la vallée du vent, l’héroïne découvre au cours de son aventure la fonction de la forêt toxique. Celle-ci protège en réalité des sources souterraines d’eau pure et potable. Elle est devenue mortelle pour subsister, pour retrouver l’équilibre rompu par les guerres et l’exploitation de la nature. Ce faisant, elle peut protéger l’eau, élément le plus essentiel à toute vie humaine et non humaine.
C’est ici que s’achève notre promenade en forêt. Nous l’avons vue hostile, effrayante, menaçante, mais aussi maternelle et protectrice. Nous avons rencontré la puissance de l’imaginaire qui se développe autour d’elle, et la profondeur des histoires qui s’y déroulent. N’est-elle pas fascinante ? Dites-moi à présent : quels sont les films d’animation sur la forêt que vous préférez ?
Les références
- Mauricette Fournier, « La forêt de Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki : une contribution poétique à la prise de conscience environnementale », dans Arbres et dynamiques, Presses universitaires Blaise Pascal, 2013, pp. 203-218
- Nathalie Dufayet, « Pompoko, une allégorie politique, mythe local et urgence mondiale », dans Raisons Publique, 2012, n°17, pp. 77-91
- Emmanuel Trouillard, « Géographie animée : l’expérience de l’ailleurs dans l’œuvre d’Hayao Miyazaki », dans Annales de géographie, 2014, n°695-696, pp. 626-645
- Carole Wrona, « Brendan et le secret de kells », Collège au cinéma, dossier n°183
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Bravo Annabelle