« Lettre à Momo » : deuil et passage à l’adolescence
Date de publication
9 mai 2022
Temps de lecture
2 minutes
Thématique
Culture & société
« Lettre à Momo » est un dessin animé japonais réalisé par Hiroyuki Okiura en 2011. Il aborde avec délicatesse la question du deuil dans l’enfance. Le père de Momo vient de mourir. Sa mère a décidé de quitter Tokyo et de s’installer avec sa fille dans son village natal, situé sur une toute petite île. Le film s’ouvre sur la traversée en bateau. Alors que Momo semble concentrée sur une lettre, trois gouttes tombent du ciel et rebondissent sur sa chevelure. Ce sont des yōkais, créatures surnaturelles issues du folklore nippon. Elles apportent une touche d’humour qui dédramatise l’intrigue et la rend tout à fait accessible à un jeune public. Et surtout, leur rôle est d’aider l’héroïne à surmonter cette difficile étape de vie.
Appréhender le deuil dans l’enfance
Le père de Momo était océanographe. Il décède brutalement en mission, alors qu’il s’était disputé avec sa fille juste avant de partir. Celle-ci trouve dans un tiroir une lettre qu’il avait commencé à lui écrire. Il n’y a que les premiers mots : « Chère Momo… ». Ce message inachevé la perturbe énormément. Que voulait-il lui dire ? Le sujet premier du film est donc le deuil dans l’enfance. Pour la jeune héroïne, la perte du père s’accompagne d’une double souffrance. La culpabilité, d’abord, puisque leur dernière entrevue s’est soldée par un conflit qui n’a pas été résolu. Le regret, ensuite, d’avoir été séparée si brutalement de lui sans même avoir pu dire au revoir.
Ikuko, la mère de Momo, cache son chagrin pour préserver sa fille. Son personnage permet d’aborder la question de la pudeur dans le rapport à la mort et aux émotions qu’elle suscite. Elle joue la carte de l’optimisme à toute épreuve, ce qui crée un quiproquo. Momo ne comprend pas que sa mère ne soit pas triste ; elle lui apparaît comme insensible. Par ailleurs, Ikuko se jette à corps perdu dans le travail et est peu présente. Elle fuit la discussion. L’héroïne se retrouve livrée à elle-même, dans un environnement qu’elle ne connait pas, entourée de personnes qui ne lui sont pas familières.
Le rôle des yōkais : des créatures grotesques et protectrices
Momo découvre les yōkais d’un vieux livre d’images rangé au grenier. Ils se libèrent des pages et rejoignent le monde réel, même s’ils ne peuvent être vus que par elle. Ce sont des êtres effrayants à première vue. Elles sont envoyées par une entité qui appartient à l’au-delà et dont on ne sait pas grand-chose. Elles matérialisent ainsi le lien entre la vie et la mort. Ces personnages sont farfelus et extrêmement maladroits. Ce sont eux qui provoquent chacune des péripéties imposant à l’héroïne d’évoluer.
Les yōkais sont insatiables et passent leur temps à chaparder de la nourriture. De manière involontaire, ils entraînent Momo dans chacun de leurs faux pas. Cela se solde toujours par une dispute avec la mère quand elle découvre le résultat désastreux des aventures de sa fille. Si ces péripéties semblent à première vue désagréger leur relation, elles offrent en réalité aux deux une occasion de se confronter. Le conflit doit alors être vu comme une étape salvatrice qui permet d’extérioriser les frustrations et, finalement, de mieux se parler.
Par ailleurs, les yōkais subtilisent la fameuse lettre inachevée. Momo est furieuse de ne pas la retrouver. Mais petit à petit, elle comprend que l’attachement au courrier de son père découle de ce qui n’a pas été dit. Il représente une occasion manquée de communiquer avec lui, d’exprimer ce qu’elle avait sur le cœur lors de la dispute. Ce cheminement l’amènera à régler, à sa manière, la querelle sur laquelle ils se sont séparés. L’imprudence et la maladresse des trois esprits farceurs poussent Momo à surmonter les obstacles qui l’empêchaient de faire son deuil.
Le déménagement : une métaphore du passage de l’enfance à l’adolescence
Au début du film, la jeune fille rencontre Yota, un garçon de son âge qui l’invite à venir se baigner avec sa bande. Le jeu est de sauter dans l’eau à partir du pont qui relie l’île au continent. Or, la première tentative de Momo est infructueuse : elle n’arrive pas à plonger. Son échec fait écho à la difficulté de se lier aux autres. Les seules créatures avec lesquelles elle interagit sont les yōkais. Mais toutes les épreuves qu’ils lui imposent lui permettent de prendre confiance en elle. Finalement, elle dépasse sa peur et ose le grand plongeon. Ce rite représente symboliquement le passage dans la période de l’adolescence.
Le pont en lui-même matérialise le chemin parcouru. Son rôle est emblématique. Il constitue le dernier obstacle que doit surmonter Momo, lorsque sa mère est victime d’une terrible crise d’asthme. Un typhon rend l’édifice impraticable et empêche de rejoindre le continent. La jeune fille se lance tout de même à corps perdu dans cette dangereuse course. À travers cette épreuve, elle gagne en autonomie et acquiert un nouveau regard sur le monde adulte. Sa mère, notamment, lui apparaît avec toutes ses faiblesses, ce qui lui permet de comprendre davantage son comportement.
Finalement, le thème du film est en réalité celui des transitions. L’histoire s’ouvre d’ailleurs sur un déménagement qui symbolise toutes les traversées que l’héroïne va devoir opérer, comme une sorte de voyage initiatique. La plus évidente est celle du deuil ; la présence des Yōkais évoquant le passage du monde des vivants à celui des morts. Elle est accompagnée de celle de l’enfance à l’adolescence, élément fondamental dans l’évolution du personnage. Toutes ces thématiques sont abordées avec intelligence et finesse. Une très belle réussite. J’espère vous avoir donné envie de le voir ! Et si c’est le cas, dites-moi ce que vous en avez pensé. 😉
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