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Mégabassines :
les clés pour mieux comprendre

Extrait de Kirikou et la Sorcière de Michel Ocelot. © Les Armateurs, Odec Kid Cartoons, Trans Europe Film, Studio O

Date de publication
26 janvier 2023

Temps de lecture
7 minutes

Thématique
Culture & société

Avez-vous déjà vu Kirikou et la sorcière ? Au début du film, le tout petit héros découvre qu’une étrange bestiole pompe l’eau de la seule source qui abreuve son village. C’est une belle métaphore du tourment provoquée par les difficultés d’accès à l’eau ; détresse que certaines de nos régions connaissent d’ores et déjà lorsque les étés sont trop secs. C’est dans ce contexte que naît le débat sur les mégabassines, ou réserves de substitution. Vous en avez probablement déjà entendu parler dans les médias, en particulier si vous vivez en Nouvelle-Aquitaine ou dans le sud des Pays de la Loire. Alors c’est quoi, ces mégabassines ? Comment fonctionnent-elles, et pourquoi sont-elles aussi controversées ? Je vous livre dans cet article quelques clés pour mieux comprendre le sujet !

Mégabassines ou réserves de substitution, mais de quoi parle-t-on ?

« Mégabassines », c’est le terme générique utilisé pour désigner ce que la loi a nommé les « réserves de substitution ».

Qu’est-ce qu’une réserve de substitution ?

Il s’agit d’une énorme bassine creusée dans le sol. Elle est recouverte d’une bâche en plastique pour contenir l’eau. Ces infrastructures sont installées dans les régions dans lesquelles les caractéristiques géographiques ne permettent pas d’autres types de retenues, telles que les barrages par exemple.

Comment se remplit-elle ?

On la remplit en hiver, entre mars et novembre, période où la pluviométrie est la plus importante. De grands tuyaux pompent dans les nappes phréatiques superficielles (qui sont moins profondément enfouies dans le sol). En principe, il est uniquement possible de ponctionner l’eau en surplus, qui se déverserait dans la mer si elle n’était pas détournée. L’idée, c’est donc de la stocker pour l’utiliser l’été, et ainsi ne pas avoir à prélever dans les nappes en cas de sécheresse.

Pourquoi ne pas simplement récolter l’eau de pluie, me direz-vous ? Parce que la quantité serait insuffisante pour remplir une mégabassine, d’autant qu’une partie est toujours perdue avec l’évaporation.

Qui en profite ?

Les exploitations agricoles. Enfin, certaines d’entre elles : celles qui dépendent de l’irrigation, c’est-à-dire d’un apport artificiel en eau. En France, elles représentent une part de 15 %.

les megabassines pompent l eau des nappes phreatique

Pourquoi les mégabassines posent-elles problèmes ?

Après tout, s’il s’agit simplement de stocker un surplus d’eau l’hiver pour l’utiliser l’été, ça a l’air plutôt malin comme concept ! Oui, mais vous pensez bien que ce n’est pas aussi évident que ça…

L’efficacité en question

Le système des réserves de substitution repose sur le pari d’une forte pluviométrie l’hiver. Celle-ci remplirait plus que nécessaire les nappes phréatiques superficielles. Or, rien n’est moins sûr. La sécheresse de l’été 2022, par exemple, était en partie due à un hiver très aride. Et le réchauffement climatique n’invite pas vraiment à faire des prévisions plus optimistes à moyen et long terme.

Par ailleurs, stocker l’eau en surface plutôt que sous la terre est beaucoup plus difficile. D’abord, une part importante est perdue par l’évaporation. Le niveau d’eau prélevé l’hiver est ainsi défini pour compenser cette perte. Mais encore faut-il qu’il ait suffisamment plu ! On en revient à notre précédent argument. Ensuite, l’eau exposée à la lumière se dégrade rapidement. En cas de fortes chaleurs, des cyanobactéries dangereuses pour la faune et la flore peuvent s’y développer.

les megabassines dependent de la pluviométrie

Le coût écologique

Les retenues et les dérivations d’eau ont toujours un impact sur l’environnement. C’est l’un des gros problèmes de l’irrigation de manière générale. La multiplication des détournements de cours d’eau ces dernières décennies a considérablement affaibli les zones humides et autres milieux aquatiques pourtant très riches en biodiversité.

Au regard du risque de fragiliser encore davantage les écosystèmes, le cadre règlementaire paraît insuffisamment protecteur. La construction de mégabassines est soumise à l’autorisation de la préfecture (article L. 181-1 et suivants du Code de l’environnement). La personne responsable du projet doit ainsi fournir une étude d’impact qui présente les répercussions positives et négatives. Le document doit comporter :

  • Une analyse de l’incidence de tous les ouvrages programmés sur un même territoire. — En pratique, cette étude est extrêmement complexe à mener.

  • La justification de la compatibilité du projet avec les normes de protection de l’eau, et en particulier avec les SDAGE (schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux)*. — Il faut relever que l’obligation de compatibilité est bien moins contraignante que celle de conformité. Cela veut dire que l’autorité préfectorale dispose d’une grande souplesse pour apprécier cette condition.

  • Les mesures que le maitre ou la maitresse d’ouvrage prévoit d’adopter pour éviter ou compenser les effets négatifs du projet sur l’environnement. — En pratique, cette étude est menée de manière très restrictive, prenant uniquement en compte les impacts directs de l’ouvrage sur le sol. Les solutions proposées sont donc la plupart du temps marginales, et ne permettent pas de contrebalancer les atteintes.

SDAGE : pour faire simple, il s’agit d’un document de planification qui a pour but de mettre en œuvre les grands objectifs de gestion qualitative et quantitative de l’eau. Il y a un SDAGE pour chaque bassin hydrographique.

Bassin hydrographique : représente l’ensemble d’un territoire drainé par un réseau de cours d’eau et ses affluents.

Les conditions pour obtenir l’autorisation de construire une mégabassine ne semblent donc pas assez contraignantes pour protéger efficacement les écosystèmes. Je m’arrête là sur l’analyse du cadre juridique : je sais que c’est aride et j’ai peur de vous perdre ! Aux lecteurs et lectrices juristes qui voudraient creuser la question : jetez un œil à l’article de Benoît Grimonprez sur le sujet ; il date un peu, mais il est très éclairant !

une obligation de planter des haies

Les projets de réserves de substitution ne favorisent pas non plus la transition vers une agriculture durable. Si le gouvernement insiste sur la nécessité que les exploitations bénéficiaires s’inscrivent dans une logique de développement durable, la portée de cette obligation n’est pas définie. Concrètement, elle dépend de négociations à l’échelle locale. Dans les Deux-Sèvres et en Vienne où le sujet est explosif, les entreprises agricoles se sont tout de même engagées à limiter l’usage de pesticides et à planter des haies (encourageant l’écoulement de l’eau dans le sol). C’est déjà pas mal, et on peut relever la démarche positive. Mais cela reste encore insuffisant pour véritablement amorcer la transition agroécologique.

Le coût économique

Au-delà du coût écologique, l’opportunité économique des mégabassines est remise en question. Elles sont extrêmement coûteuses. Aucune structure agricole ne peut supporter seule un tel investissement. Elles sont donc financées à 70 % par les Agences de l’eau, donc de l’argent public. Il existe, en outre, très peu de données chiffrées pour établir la pertinence économique de ces infrastructures, tant pour les exploitations que pour les territoires dans lesquels elles s’intègrent.

L’appropriation de l’eau : une question en creux du débat

L’eau est un commun : un bien inappropriable par nature qui fait partie du patrimoine commun de l’humanité. Enfin en principe. Les mégabassines sont une manière de la privatiser, autrement dit de la réserver pour l’usage de certains individus. C’est l’un des points névralgiques de la discussion. Qu’arrivera-t-il lorsque l’eau viendra à manquer pour toutes les exploitations agricoles d’une région ? Le risque, c’est que les petites infrastructures déjà fragilisées ne puissent pas en profiter.

Plus généralement, c’est le modèle de gouvernance des biens communs qui est en cause. Qui décide de la gestion des ressources naturelles ? Comment, et pour quels usages ? Le système d’autorisation préfectorale pour la construction des mégabassines ne suffit pas à rassurer les opposants. Il y a une véritable défiance vis-à-vis du bon vouloir politique. Et pour cause : l’État entretien des liens tenus avec la profession agricole qui permet de douter de l’impartialité dans l’analyse des dossiers.

Certaines mégabassines ont d’ailleurs été édifiées en toute illégalité (cinq retenues situées sur les communes de La Laigne, Cramchaban et La Grève-sur-le-Mignon, en Charente-Maritime). Les travaux se sont poursuivis alors même que les autorisations étaient contestées devant la juridiction administrative. C’est la magie du contentieux de l’urbanisme : un procès n’impose pas nécessairement de suspendre les opérations. Or, une fois l’infrastructure bâtie, la juridiction peut bien conclure à son irrégularité, le mal est fait ! Et bien souvent, l’autorité publique n’ordonne pas la démolition qui serait bien trop coûteuse.

Les solutions alternatives

Alors oui, vous allez me dire, c’est bien beau de critiquer, mais peut-être qu’on n’a pas vraiment le choix pour sauver notre agriculture fasse à la crise climatique ! Là encore, ce n’est pas si évident que ça. Il existe des solutions alternatives.

  • Adapter les semences. L’irrigation est souvent rendue nécessaire pour la culture du maïs dont le principal apport en eau se fait l’été. Il faudrait donc éviter de le cultiver dans les zones qui souffrent de sécheresse à cette période. Il pourrait être remplacé par des espèces rustiques plus robustes et plus résistantes aux pénuries d’eau. De plus, le maïs est surtout utilisé pour nourrir le bétail alors qu’il est moins riche en nutriments que d’autres céréales. Et pour cause, il a besoin d’être complété par du soja qui est bien souvent importé.

  • Lutter efficacement contre la pollution de l’eau. L’une des raisons pour lesquelles l’eau potable vient à manquer est sa dégradation. Certaines substances provenant de l’agriculture (insecticides) et de l’industrie (produits chimiques) en détériorent durablement la qualité. Elles persistent dans l’eau même après épuration.

  • Limiter l’artificialisation des sols qui empêche l’eau de s’introduire correctement dans la terre et d’atteindre les nappes phréatiques profondes. Planter des haies aide aussi à ce que l’eau de pluie s’infiltre mieux.

  • Limiter les retenues d’eau en amont. Le détournement de cours d’eau de montagne empêche les lacs en aval de se remplir naturellement au moment de la fonte des neiges. Ce sont, par exemple, les retenues collinaires. Certaines ont vocation à réserver l’eau pour alimenter les stations de ski en neige artificielle l’hiver (voir notamment le très contesté projet de la Clusaz).

  • Couvrir les cultures de masse organiques pour mieux conserver l’humidité dans la terre. Il faut cependant que les résidus de plantations utilisés ne soient pas gorgés d’insecticides, au risque de polluer encore davantage les nappes phréatiques.

Alors oui, bien sûr, il s’agit de solutions de moyen terme. Pour certaines, elles impliquent une véritable politique à l’échelle nationale. Quant à savoir si elles seraient suffisantes pour faire face aux sécheresses des prochains étés, mes compétences en la matière s’arrêtent ici. Je ne suis pas scientifique et je ne me risquerais pas à donner une réponse tranchée. Mais ce qui est certain, c’est que les mégabassines sont des infrastructures durables, extrêmement coûteuses, et que leur efficacité à court terme n’est pas non plus avérée. Le bilan coût-avantage prête à réfléchir…

Voilà, je vous ai exposé les principales problématiques que posent les projets de mégabassines. Comme moi, vous comprenez peut-être un peu mieux pourquoi ils suscitent autant d’oppositions et cristallisent le débat. Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet, vous trouverez ci-dessous toutes les sources que j’ai consultées pour écrire cet article. N’hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, et à me conseiller d’autres lectures sur la question ! 🤓

Les références

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