La sorcière :
un symbole moderne d’empowerment
Date de publication
24 février 2023
Temps de lecture
4 minutes
Thématique
Culture & société
La sorcière effraie par la puissance de ses pouvoirs magiques. Elle est une figure traditionnelle à la fois littéraire, cinématographique et historique — puisque nos ancêtres l’ont envoyée au bûcher. Sa force et son indépendance ont fasciné et terrorisé. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Quelles sont les caractéristiques de la sorcière moderne ? Et qu’est-ce qui fait d’elle un symbole d’empowerment ? En trois mots : la transgression, la spiritualité et la politique.
Caractéristiques de la sorcière moderne : la transgression
La sorcière est avant tout un symbole de transgression. Elle représente ce qu’une femme ne doit pas être du point de vue du patriarcat. Cet aspect est le plus ancien puisqu’il est hérité des chasses aux sorcières.
Les chasses aux sorcières, vraiment ? Ce n’est pas une légende ? Malheureusement non ! Et il n’y a pas que Jeanne d’Arc qui a fini sur un bûcher… Elles ont été menées par vagues, du XVe au XVIIIe siècle, et ont concerné des milliers de femmes. Les plus virulentes ont eu lieu au cours de la Renaissance, et non pendant le Moyen-Âge comme on le pense souvent. L’une des dernières victimes, Anna Göldi, a d’ailleurs été décapitée en Suisse en 1782.
À l’origine, les chasses aux sorcières ne visaient pas seulement les femmes, mais toutes les communautés hérétiques sur lesquelles l’Église n’avait pas la main mise. Il était alors question de « purifier » la chrétienté. Le XVIe siècle a marqué un tournant important en raison de deux événements :
- La publication du Malleus Malificarum (Le marteau des sorcières), en 1486 ou 1487. Il s’agit d’un ouvrage profondément misogyne dans lequel les auteurs, deux dominicains, accusaient les femmes d’être plus sensibles aux tentations du diable, du fait de leur faiblesse et de l’infériorité de leur intelligence (herk).
- L’invention de l’imprimerie par Gutenberg, en 1450. C’est elle qui a permis de diffuser largement le livre. Et c’est donc en partie grâce à elle que l’Église s’en est emparée.
Les procès en sorcellerie ont alors de plus en plus concerné les femmes. La plupart du temps, celles inquiétées étaient :
- soit en marge de la société (des « vieilles filles », des vagabondes, des païennes, des veuves) ;
- soit bénéficiaires d’un statut particulier au sein de leur communauté (celui de guérisseuse par exemple).
Vous voyez le point commun ? Ces femmes disposaient toutes d’une certaine indépendance et échappaient, dans une certaine mesure, à la domination masculine. Elles transgressaient donc la norme patriarcale imposée par l’Église.
Aujourd’hui, la figure de la sorcière est incarnée par celles qui, d’une manière ou d’une autre, refusent les diktats sociaux. Elle s’oppose aux critères de la féminité qui pèsent sur le physique, sur le rôle social, sur l’ambition personnelle et professionnelle, et enfin sur la sexualité. Il s’agit de contester la tyrannie de la minceur, de la beauté, de la jeunesse, du corps imberbe, ou encore de la maternité.
La figure spirituelle de la sorcière
Au-delà de la transgression, la sorcellerie peut aussi être analysée comme l’occasion de renouer avec le surnaturel. En ce sens, elle est une alternative aux religions monothéistes qui véhiculent, aujourd’hui encore, un modèle patriarcal.
La figure de la sorcière répond ainsi au besoin de spiritualités nouvelles des pays occidentaux. La rationalité scientifique et l’idéologie du progrès ont désenchanté le monde. Pourtant, les croyances et les rituels sont des outils parfois nécessaires pour traverser les étapes et bouleversements de la vie — tels que le deuil par exemple. C’est pourquoi la magie existe dans toutes les sociétés, sous des formes très diverses.
« La magie est d’abord une façon de travailler sur sa conscience, sa psychologie. »
Starhawk
Les pratiques modernes de la sorcellerie sont multiples et variées. Elles peuvent être ésotériques : tirage de cartes, astrologie, voyance… Dans un sens un peu plus large, on peut aussi y intégrer les thérapies alternatives : naturopathie, soins énergétiques, ostéopathie… Ces techniques ne suivent pas les mêmes protocoles que la médecine allopathique. Elles se développent à partir de l’expérience pratique et sensorielle, et nécessitent, pour certaines, une connaissance pointue de la nature et des plantes. Elles rappellent ainsi la figure de la guérisseuse qui a été décimée pendant les chasses aux sorcières.
La sorcellerie comme arme politique
La sorcellerie est aussi un outil de réappropriation et de transfiguration du discours patriarcal. Les qualités reprochées au « féminin » — la sensibilité par exemple — sont converties en force. Elles deviennent ainsi des armes contre les stéréotypes de la virilité, grâce à un processus que l’on appelle l’« empowerment ». C’est une manière de trouver une forme de puissance en dehors du modèle masculin.
À partir des années 1970, les mouvements féministes de la deuxième vague se sont emparés de la figure de la sorcière. Aux États-Unis, le collectif WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell) se mobilise pour jeter des sorts contre la bourse de Wall Street. Dans le même esprit, des groupes de femmes se sont rassemblés au pied de la Trump Tower pour prononcer des maléfices après les élections de 2017. La magie devient alors un outil politique contre le patriarcat, le capitalisme et l’exploitation de la nature.
Starhawk, sorcière écoféministe
L’écoféminisme regroupe plusieurs mouvements féministes disparates qui ont en commun de relier la domination des femmes à celle de la nature. Les deux dynamiques seraient similaires, et découleraient toutes deux de la même idéologie patriarcale.
Starhawk est l’une des personnalités contemporaines les plus influentes associées à l’écoféminisme. Sorcière, activiste et essayiste américaine, elle milite aux côtés des altermondialistes. Elle a soutenu de nombreux combats environnementaux, dont celui de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Son essai le plus connu – Rêver l’obscure, femme, magie et politique – est paru en France aux éditions Cambourakis.
En France, Xavière Gauthier (philosophe et chercheuse au CNRS) crée en 1975 la revue Sorcières, Les Femmes vivent. Au lendemain de l’adoption de la Loi Veil, la question de l’IVG est encore extrêmement sensible. La figure de la sorcière est alors choisie sciemment, en référence aux nombreux procès de sorcellerie qui ont concerné les sages-femmes pratiquant des avortements.
En 2016, les Witch Blocs se sont constituées dans les mouvements sociaux contre la loi Travail. Elles s’affirment en tant que sorcières féministes et anarchistes. Robes noires et chapeaux pointus, elles adoptent les codes des Black Blocs, tout en se dissociant de ce mouvement dont elles contestent les stratégies virilistes. Elles militent pour les droits des femmes cis et trans, des personnes LGBTQI+ et des personnes racisées.
La sorcière moderne est donc un symbole protéiforme de transgression, de spiritualité et de lutte politique. Elle représente plusieurs dimensions du féminin, et les réconcilie pour y puiser sa force. C’est pour toutes ces raisons que je la trouve passionnante ! Et vous, vous sentez-vous parfois un peu sorcière ?
Les références
Ouvrages
- Céline du Chéné, Les sorcières, une histoire de femmes, 2019, éditions Michel Lafon
- Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, 2019, éditions La Découverte
- Hémilie Hache, Reclaim, recueil de textes écoféministes, traduit par Émilie Notéris, 2016, éditions Cambourakis
- Starhawk, Rêver l'obscur, femmes magies et politique, traduit par Morbic, 2015, éditions Cambourakis
Podcasts
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